Présentée en parallèle de sa résidence d’écriture à la Fondation des Treilles créée par la mécène Anne Gruner Schlumberger, l’exposition L'ATELIER D'OLIVIER DHÉNIN dévoile les correspondances artistiques du poète : les liens intimes que le dramaturge entretient avec la peinture, la musique, la photographie et la littérature. Dans cette antichambre de l’imagination sont développées les différentes sources d’inspiration de l’écrivain, les œuvres et leurs transformations au contact d’autres créateurs — manuscrits dévoilant la genèse et le labeur de l’écriture, partitions musicales et livres d’artiste.
La cartographie du poète
À quarante ans passés, mettre en scène son écriture, exposer son univers dramatique, ses livres et ses personnages est une chose bien singulière. Montrer les carnets, les lettres, les brouillons — ce qui n’est jamais vu — les œuvres à quatre mains nées de collaborations avec d’autres artistes, dévoiler les objets fétiches et aussi rappeler la musique qui n’est jamais que signifiée dans les pièces en didascalie. Il a fallu ouvrir les boites de conservation où cela reposait, parcourir à l’envers tout ce que l’on venait d’accomplir le temps d’une jeunesse à présent révolue… C’est donc avec une grande émotion que j’ai mis en scène cet « atelier » qui raconte à la fois l’œuvre et l’auteur, la recherche et l’inachevé perpétuel de l’écriture — sorte de portrait de l’artiste en jeune homme (pour paraphraser James Joyce) qui montrerait humblement et délicatement ma vision du réel et de l’imaginaire.
Du plus loin que je me souvienne, il y a la musique. Pas le mot simple, ni le mot écrit, mais le son — avec sa résonance intérieure, celle qui peut rester longtemps dans la mémoire. La voix des parents, le jappement du chien et le pépiement des oiseaux. Tout a un son — le soleil, le vent et la neige — ou une absence de son — la brume, les étoiles, le temps — et mon travail d’écrivain, je le conçois aujourd’hui ainsi, a été de retranscrire ce son. Sans doute la musique écrite (le piano et l’alto dont j’ai joué) a irrigué cette réflexion, amplifié ensuite par la lecture de Rilke : Quelle ombre et quel murmure font dans l’instrument les forêts d’où son bois est issu ? Si le violoncelle ou la clarinette garde l’empreinte du saule et du roseau, à l’harmonie du mot d’éveiller les sens de l’esprit.
L’écriture se devait d’être une recherche d’images et de chimères, de lointains souvenirs et de regrets indicibles. L’enfance, bien évidemment, en premier lieu ; ce terreau du rêve et de l’angoisse, de la perte à la réminiscence d’un pays de cocagne. L’enfance fragile du frère qui n’a jamais été celui qu’on imaginait parce qu’il n’avait pas la parole, ni la musique, ni la poésie — mais seulement la détresse d’être seul et différent. L’enfance mélancolique et simple de la famille à quatre, du bonheur feutré et ignoré qui s’effritera avec les années et la mort qui frappe.
La part manquante c’est donc celle du frère cadet qui ne peut être le frère miroir, et aussi celle du père disparu, mort alors qu’on est adolescent. Sans doute l’écriture est déclenchée à cause de cette perte, peu à peu, pour tenter de reconstruire le chemin vers les beaux souvenirs — oublier la maladie, la haine, la colère, la violence. On n’oublie jamais, mais on édulcore, on transforme et on apaise. Les mots sont alors là pour redonner corps et âmes à la vie tragique, la vie douce, la vie d’ennui et de grâce.
Les lieux aussi — toujours les lieux sont importants — parce qu’ils sont comme une carte de notre vie, un planisphère qui se déploie au fil des saisons. Les lieux nous rassurent et nous ancrent dans notre passé. Ils savent ce que l’on a traversé et ils nous renvoient notre solitude et nos remords, notre foi et notre espoir. Ce que j’appelle le pays d’enfance, la maison familiale dans le Poitou, c’est le lieu origine de toute mon écriture. Là où il y a le domaine perdu qui fait penser au Grand Meaulnes et qui a inspiré les lieux de mes pièces et nouvelles. À cette présence topographique répond forcément une absence géographique, cet autre lieu qu’est l’ailleurs. Ce « nulle part » déploie ses propres lointains : un continent désolé dans le trip-tyque d’Audelin, une réalité hors du temps et de tout dans Unalaska, un monde perdu a posteriori dans Mare Tranquillitatis… Des terres extrêmes et éparses, comme venant de loin — vaines tentatives d’atteindre des « autre part » autrement impossibles : le pays d’orient natal de la mère exilée disparu ; et puis le pays d’hiver où gît le père défunt dont le pèlerinage douloureux est scandé dans Froidure.
La vie tragique se révèle ainsi dans mes textes à la manière d’une cartographie fantoche, car le prisme de l’écriture biaise évidemment la réalité. La conception même du drame auquel j’adjoins systématiquement une musique de scène teinte d’ailleurs la fable d’une double résonnance. Je crois que la parole est insuffisante à exprimer la vérité et appelle une autre « énonciation » — en l’occurrence le chant d’une voix ou d’un hautbois. Alors seulement aurons-nous une réflexion de cette même illusion contradictoire du réel que se veut et se doit d’être l’écriture… Miroir du miroir : ainsi la poésie du monde se révèle-t-elle, ainsi le visible prend-il forme et nous accompagne-t-il vers ce lointain intérieur qu’est notre propre vie.
Olivier Dhénin
Domaine des Treilles, novembre 2018
L’ATELIER D’OLIVIER DHÉNIN
Exposition de l’œuvre écrite
Pôle culturel Chabran, Draguignan
07.11.18 > 01.12.18
Conception et scénographie de l’auteur,
dans le cadre de sa résidence à la Fondation des Treilles
Relations publiques pour Olivier Dhénin
La Fondation des Treilles, créée par Anne Gruner Schlumberger, a notamment pour vocation d’ouvrir et de nourrir le dialogue entre les sciences et les arts afin de faire progresser la création et la recherche contemporaines. Elle accueille des chercheurs, des écrivains et des artistes photographes dans le domaine des Treilles (Var)