Mare Tranquillitatis
Essai de Gisèle Mathieu-Castellini, 2005
Voici que se composent, en ces trois séries de sept sizains, les tableaux variés d’une Mer de la Tranquillité où le calme, l’immobilité, la lumineuse sérénité d’un paysage sommeillant comme le rêveur qui le contemple et l’interroge, laissent percevoir la vie et ses nuances, ses espoirs et ses craintes.
Voici d’abord les eaux dormantes animées de fragiles frémissements, ondulant à peine comme les roseaux qui les bordent sans les borner ; puis les heures calmes au bord des rives lactées, emportant le souvenir qui s’efface et se tait, et pourtant revient insensiblement nourrir de ses fugitives images le désir languissant ; voici enfin les ciels immobiles, et pourtant parcourus à leur tour par les éclats et les scintillements d’astres errants, tremblants comme des ombres…
Cette poésie subtile et délicate agit comme un charme : en quête d’un passé perdu, dont la nostalgie doucement et amèrement l’habite, le poète choisit de se laisser prendre comme Ulysse au chant dangereux des Sirènes tout en se tenant comme lui solidement attaché au mât qui saura l’empêcher de céder à la vanité des mirages. Les songes qui sommeillent ici sont peuplés de figures aimables et redoutables, de créatures fugitives apparaissant et disparaissant au gré d’une rêverie trouble, troublée, troublante, d’une rêverie qui chavire comme les étoiles sans cesser de questionner un passé obscurément présent, semblant promettre une autre vie pleine de ces souvenirs en voie d’effacement, toujours tremblants pourtant.
La Mer de la Tranquillité que nous donne à parcourir rêveusement Olivier Dhénin connaît le trouble et la houle, elle peut faire sombrer la frêle barque qui s’aventure sur ses eaux frémissant à peine, mais elle sait aussi dans ses scintillements bercer tendrement l’enfant noyé qui se confie à elle pour attendre « l’aurore à venir qui perce les nuées ».